Suppression de Pentecotavic ? C’est la faute à Colbert !

Posté initialement sur le Blog des Béouèts à Vic

Après l’excellent billet de mon complice Goomi, à mon tour d’ouvrir ma gueule. Je vais donc parler moi aussi de la mort annoncée de la féria de Pentecôte à Vic, qui fait l’actualité dans le Gers, et même au niveau national, grâce à Pernaut. Je parle de Jean-Pierre (le mec à la télé qui présente à 13h00 un genre de chronique rurale), pas de la boisson alcoolisée et anisée, puisqu’on parle de féria. Mais je vous préviens : je vais partir de loin pour arriver au cœur de mon sujet (comme d’hab’ certains me diront).

La France détient 2 records absolus en Europe : c’est le pays le plus centralisé (entendez : tout se passe à Paris) et celui où la consommation de neuroleptiques est de très loin la plus élevée. Bref, un pays de malades mentaux qui sont obligés de se déraciner pour aller travailler à la capitale. Peut-être reviendront-ils un jour au pays pour y finir leur jour au moment de leur retraite s’ils ne sont pas mort d’un cancer avant leur retraite. Certains resterons à Paris, on s’habitue à tout, dit-on.

Il y en a bien quelques uns qui ont réussi à rester au pays, fonctionnaires ou même dans le privé. Il ne faut pas se tromper de secteur économique. Au milieu des déserts ruraux il y a bien quelques villes qui arrivent à survivre avec un peu plus que les aides et allocations de l’état et ses dirigeants clientélistes face à des citoyens jamais contents qui croient que tout leur ai du. Un confrère ergonome avisé avait une belle phrase : “si tu veux vivre à Toulouse, il faut fabriquer des avions ou des sandwichs”. Pas con ça. Quand tu as été étudiant à Toulouse, tu sais que nous sommes nombreux et fauchés, donc bouffeurs de sandwichs. Quant à Airbus, la “locomotive économique” de la région, je ne vous fait pas un dessin.

Vous l’aurez compris, je fais partie de ceux qui ont du se barrer à Pantruche pour pouvoir croûter, loin de leurs familles, leurs potes et leurs racines. Ces racines fondent de manière inaltérable une bonne partie de ma propre identité. A 42 ans, je n’ai jamais perdu mon accent gascon et je ne le perdrais jamais, sans même le vouloir. Cet accent est lui même la seule survivance de la langue gasconne que mes grands pères parlaient couramment. Ce patois était interdit à l’école républicaine dont une des missions était de franciser ces campagnes profondes, à grands coup de règle en fer sur le bout des doigts (c’est véridique) pour les plus récalcitrants qui avaient le malheur de parler cette langue de sauvages.

Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas tomber dans des délires régionalistes archaïques, ce n’est pas mon genre. Et de plus, en parlant du Gers, ce serait une belle connerie. Ces vallées vivent des brassages de population depuis toujours, et c’est sûrement ce qui fait leurs richesses (aujourd’hui on ne brasse plus, on se replie sur soi ou on se communautarise. Elle est belle notre modernité…). Je pense souvent à cette belle phrase du philosophe gascon Michel Serres : « L’apprentissage, c’est le métissage »,.

Récemment, au siècle dernier, la première grande boucherie mondiale de 14-18 a dépeuplé nos campagnes de ses hommes, et il a fallu faire venir des bras. Dans le contexte de pauvreté, en Pologne, au Portugal, et la montée des fascismes en Espagne et en Italie, beaucoup sont venus dans le Gers. La majorité de mes amis d’enfance ont des noms espagnols, polonais, portugais ou italiens, qu’ils ont hérité de leur grand père. Et tous ont l’accent gascon, ont taquiné plus de ballons ovales que de ronds, génocider du canard gras en magret, en confit ou en foie gras, vous sortent l’Armagnac ou la prune après le diner, et se sont encanaillés dans les férias.

La féria, ce fort débordement culturel au dessus des Pyrénées, venue de la voisine Espagne. Les arènes de Vic-Fezensac, les plus anciennes en béton de France, en est une illustration de poids. Oublions les taureaux, on s’en fout, du pour et du contre de la corrida (en tout cas, moi, j’en ai rien à foutre), ce n’est pas le débat. Dans les commentaires sur l’article du Sud-Ouest d’aujourd’hui, on voit bien que tout le monde mélange tout. Ce n’est pas la corrida qui est remise en question, mais la féria. Revenons au sens premier. La féria c’est la fête (et c’est même ’L’excès pour l’équilibre“, j’ai écrit un grose dossier là-dessus il y a longtemps…). Les puristes vous diront que c’est la faute aux hordes des nouvelles générations formatées aux grosses férias de Dax et de Bayonne qui foutent en l’air Pentecotavic. Il y a ceux qui vont se lancer dans des analyses sociologiques surannées qui ont un avis sur tout sans avoir foutu les pieds dans une féria (très français, ça…), ceux qui vous diront que les plus ardents défenseurs de Pentecotavic le sont pour des raisons économiques (les commerçants), ou alors que la cause c’est la folie de plus en plus sécuritaire de notre civilisation, ou le clientélisme des élus, et j’en passe… Enfin, pour finir, certains vous diront que c’est la faute aux Vicois eux-mêmes majoritairement retraités.

J’aimerai vous y voir, vous, si vous habitiez dans une petite bourgade de 3500 habitant endormie toute l’année et que vous vous retrouviez envahis pendant un week-end par des dizaines de milliers de béouèts. Bon, il y en a qui le gère très bien, qui louent leur maison et s’en vont, etc. Pas si endormie que ça toute l’année, Vic-Fezensac : l’été il y aussi le festival Tempo Latino, le plus grand festival de musique cubaine d’Europe, festival qui n’a pu voir le jour notamment grâce au pognon généré par la féria, il faudrait le rappeler. Alors, c’est la faute aux vieux ? Autrefois je disais à mon dernier grand père vivant (à presque 90 ans) que dans des villages peuplés à 70% de retraité, dans un pays de suffrage universel, les villages gersois étaient devenus des gérontocraties totalitaires. Cela faisait beaucoup rire mon papi Jean. Mais non, ce n’est pas la faute de nos aînés. C’est la faute à Colbert.

Dans notre pays dont le centralisme est un héritage du colbertisme, le fossé entre les villes et la campagne déjà marqué par des décennies d’exode rural s’est encore accentué avec l’avènement de notre civilisation de méga(lo)pôles et de changements culturels et spirituels radicaux. S’y rajoute le choc des générations, alors que l’allongement de la vie prend des proportions jamais atteintes depuis le début de l’histoire de l’humanité. Tout cela ne nous amène hélas qu’à des clivages et des divisions de plus en plus marquées, des déséquilibres démographiques et culturels.

Je pousse dans doute mon délire un peu trop loin, car il est déformé par mes propres sentiments. C’est sans doute parce que la suppression de la féria de Pentecôte à Vic marque quelque chose de l’ordre de la rupture du dernier lien qu’il me restait avec ma culture gasconne. Autrefois, j’allais à Pampelune, Bayonne, Dax, les 2 fêtes de mon village de Mauvezin, je faisais le con sur la Place Saint Pierre à Toulouse (j’y ai même été portier…), je jouais au rugby, j’allais supporter mon frère rugbyman, etc. Petit à petit, avec le temps, l’éloignement, le travail, liés à la vie moderne, j’ai déserté tout cela ou certains rendez-vous ont disparu pour diverses raisons (je pense à l’association des Pénibles de Mauvezin). Finalement, il ne me restait plus que Pentecotavic, mon rituel annuel où je retrouve mes potes, ma famille, l’âme de ma région, et cela depuis 25 ans. J’avais déjà frémis, il y a quelques années, à l’époque de la suppression du lundi férié de Pentecôte, qui a inspiré ce génialissime billet de ma tatie Isabelle sous le pseudonyme de Vicomtesse d’Armagnac (allez, tatie, un autre billet comme ça et tu nous sauves encore la féria…).

Mais maintenant je me sens triste, abattu et blessé, car je dois l’écrire, cette suppression supposée de Pentecotavic m’a touché en plein cœur.